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24 novembre 2005

Un dernier présent - seconde partie

Voici la suite de "Un dernier présent". Je la trouve personnellement moins réussies que la première partie mais je la mets quand même, vous me direz ce que vous en pensez ;)


UN DERNIER PRESENT



Il voyait là, assis autour d’ une somptueuse table de bois, une famille au complet, en plein petit-déjeuner. Les deux fils enfournaient de grandes bouchées de pain au miel, et la mère faisait chauffer de l’eau pendant que le père buvait ce qui semblait être du thé dans un grand bol de terre cuite ... Joe n’en revenait pas, il croyait s’être trompé de maisons, mais comment était-ce possible ? De grands rideaux filtraient la lumière matinale du soleil et donnait à la pièce une atmosphère douillette et agréable. Un petit lecteur-cassette diffusait une musique douce à faible volume, du classique, mais que Joe n’avait jamais entendu.

Aucun regard ne se tourna vers lui à son entrée, mais, au bout de deux minutes de stupéfaction muette, celui qui semblait être le père se leva et s’approcha de lui. Il le prit singulièrement par le coude, et, en le menant vers la porte d’entrée, lui dit sur le ton de la conversation, tout sourire :

« -C’est une belle journée qui s’annonce n’est-ce pas ? Ne vous en faites pas, ça fait un peu bizarre au début, mais il va bien falloir que vous vous y habituiez ».

Il ouvrit la grande porte de bois et laissa passer Joe, à peine remis de sa surprise.

« - Je vous en prie, vous n’avez aucune raison de rester ici plus longtemps »

Le jeune américain ressentait la même sensation d’impuissance que la veille. Face à une situation extrêmement décalée, il ne pouvait réagir et il se laissait guider, sans poser de questions. Etait-ce dû au comportement de son hôte, ou bien y avait-il dans ce lieu quelque fluide magique qui l’empêchait de résister, il ne le savait pas. Il sortit donc au grand jour et le soleil l’aveugla quelques instants, laissant peu à peu place à une vision paradisiaque et on ne peut plus déconcertante. Plus d’immeubles noircis par les gaz d’échappement, plus de hangars miteux et de lampadaires clignotants, rien qu’une petite plaine herbeuse qui précédait ce qui semblait être l’orée d’une forêt. Les fleurs fourmillaient par dizaines sur l’herbe grasse et verte de l’été, et on pouvait distinguer les myriades d’oiseaux sautillant et chantant sur les branches des premiers arbres. On se serait cru au début de l’été, quand le soleil chaud et la nature commencent à exprimer toute leur puissance et leur joie. Une petite rivière coulait au milieu de l’étendue verte, offrant un douce musique roucoulante, surplombée par un petit pont de bois. Joe se tourna vers l’homme qui se tenait encore là, le sourire toujours accroché aux lèvres, et dit d’une petite voix enrouée :

«  -  … Est-ce que vous pourriez m’expliquer…

- Oh, vous savez c’est la nature qui a tout fait, moi je suis juste là pour admirer humblement. Ne pensez pas que je suis responsable de ce décor, moi je regarde, c’est tout, je laisse à la nature le soin de décider, et regardez, ça rend bien quand même hein ? «

Une voix de femme douce et légèrement moqueuse sortit de la maison :

« - Je pense que le mieux serait que tu le laisses tranquille Nermak. »

Entendant cette phrase, le dénommé Nermak eut un petit rire de gorge et, s’adressant à Joe :

« - Je crois que ma femme a raison. Je vous souhaite donc bonne chance, il est fort probable que nous nous revoyons. En attendant, profitez bien de votre séjour »

Il tendit une main franche à Joe qui n’osa refuser l’invitation et serra la petite paume chaude avec toute l’énergie que son état actuel lui permettait, c’est à dire celui d’une larve mélancolique, et réussit même à esquisser une ébauche de sourire.

« - Bonne journée à vous aussi, et merci pour l’accueil.

-Ce fût un plaisir »

Sur ce il claqua la porte de la maison. Joe ne se laissa pas le loisir de s’en vouloir intérieurement de ne pas avoir poursuivi plus loin la conversation. Il ne savait où il était, et cet homme avait l’air, lui, de bien connaître l’endroit, et de nombreuses informations auraient pu être extraites de ce petit être rigolard. Enfin, il préféra ne plus y penser.

Il s’avança sur l’herbe et franchit le petit pont de bois surplombant la rivière. Il put remarquer au passage que des dizaines de poissons aux couleurs vives nageaient librement dans l’eau claire et pure du ruisseau. Le soleil lui chauffait le corps et l’esprit, et il décida de s’arrêter un moment sur un rocher, le temps de reprendre ses esprits et de faire le point. Il était parti à 11H du soir de son appartement de L.A., sans savoir où aller. Il s’était dirigé, à l’aide d’indications de provenance inconnue, dans une … « auberge » et s’était endormi dans une chambre. Au matin, il s’était retrouvé dans une maison qui semblait appartenir à une famille heureuse, et il ne se trouvait plus en ville mais là, assis sur un rocher, dans un endroit paradisiaque, alors qu’il pensait que les lieus tels que celui-ci avait entièrement disparus de la surface terrestre. Alors, il prit conscience d’une chose. Ce décor, cette situation, ces évènements qui l’avaient conduits là … tout ça était bel et bien du domaine de la magie, de l’irréel, du surnaturel ! Or depuis quand la magie existait-elle en ce bas-monde ? Mais la notion qui s’imposait de plus en plus fortement à lui, était que ce qui lui arrivait, était un CONTE ! Un vrai conte merveilleux, un monde féerique, empli des mythes les plus vieux, les plus enfantins, tirés de l’imagination abusivement torturée d’un homme, ou de plusieurs, qui avaient voulus par ce moyen permettre à tout un chacun d’enfin s’envoler librement. Il exultait ! Comment était-ce possible ? Son rêve de toujours, qu’il savait (du moins croyait) rester à jamais du domaine du rêve et de l’imaginaire se réalisait petit à petit, devant ses yeux, et il en était le principal protagoniste ! Cette vision lui fit tourner la tête. A être ici, pourquoi ne pas prendre cette histoire au sérieux, et même si tout cela n’était qu’un rêve, même si tout cela était humainement impossible, pourquoi ne pas le vivre pleinement, pourquoi ne pas exulter dans ce milieux qui correspondait en tout point aux plus fous délires que Joe eut jamais éprouvé. Il avait pris sa décision et n’en démordrait plus : Il se trouvait vraiment là où il croyait être, il vivait vraiment ce qu’il croyait vivre, il ne nageait pas en plein délire … il allait profité de son rêve éveillé … au maximum…

Il était allongé sur l’herbe depuis, lui semblait-il, de nombreuses heures, et n’avait pas l’impression d’avoir dormi, mais le bien-être que lui procurait cette situation était indescriptible. Il entendait les oiseaux chanter, le vent dans les feuilles des arbres produire un souffle monotone et paisible, et l’eau qui coulait, douce musique régulière et pleine de joie. Le soleil, presque à son apogée dans le ciel azur et dépourvu de nuages fournissait une chaleur réconfortante mais pas trop forte au point de brûler à trop y rester exposé … le bien-être à l’état pur. Ce fût à ce moment-là qu’il crut entendre, puis entendit vraiment, un murmure grave et profond semblant venir du cœur même de la forêt. Un son monotone, exprimé par un chœur de voix basses, tel un chant doux mais puissant, se dirigeant vers le centre même de la terre, et faisant vibrer jusqu’aux roches de la plaine. Joe ne fut pas inquiété au premier abord, mais énormément intrigué par cette musique qui emplissait l’air ambiant de plus en plus intensément, son volume allant crescendo. Il se leva sur la pointe des pieds, faisant le moins de bruit possible presque inconsciemment, car tous les autres sons présents précédemment semblaient s’être tus depuis l’avènement du chœur de voix. Les oiseaux ne chantaient plus, le vent s’était calmé, et même le ruisseau semblait répandre un gargouillis plus faible qu’auparavant. Mi-debout, mi-accroupi, Joe se déplaça sans un bruit sur l’herbe moelleuse qui amortissait le bruit de ses pas. Il s’approcha de la forêt, vers le lieu où il croyait trouver l’origine du murmure.

Il s’avança par l’orée de la forêt, entre les fougères et autres végétations hautes qui lui barraient, sans créer une réelle résistance, le chemin. Il écartait les unes après les autres les feuilles et les ronces, et s’enfonçait toujours plus au cœur de la forêt. La végétation se faisait de plus en plus touffue et dense, mais Joe ne rebroussa pas chemin. Il se laissait guider par le murmure qu’il entendait toujours, augmentant d’intensité à mesure qu’il progressait. La lumière, elle, avait fini par baisser en luminosité, obstruée par l’épais feuillage des arbres, et les quelques rayons qui réussissaient à percer cette masse verte rendaient la forêt plus mystérieuse et magique. On se serait cru dans une forêt enchantée, tout du moins l’atmosphère ne pouvait que rendre évidente cette hypothèse. Puis, brusquement, Joe écarta une grande feuille de fougère qui laissa place à la vision d’un chemin de terre qui lui coupait la route, assez large et bien entretenu. Mais le plus intriguant était la procession qui y déambulait. Si Joe n’était pas convaincu de la qualité de sa santé mentale, il se serait cru fou … mais il n’en était rien, et ce qu’il voyait, il le savait réel. Une trentaine de créatures à l’apparence paisible et pacifiste, qu’on aurait cru sorti d’un conte de fée, marchaient très lentement par rang de trois. Elles étaient légèrement plus grandes qu’un homme, mais largement plus volumineuses. Elles avaient tout d’un petit éléphant qui se serait redressé sur ses deux pattes arrières. Elles avançaient en se balançant d’un côté puis de l’autre, comme handicapées par leur masse corporelle. Mais leur marche était si douce et si calme, qu’on ne pouvait que les admirer et les observer avec une grande compassion. Elles irradiaient de pacifisme et de bonté, à tel point qu’il aurait été inimaginable que l’une d’elle s’en prenne même à une mouche. Elles avaient une grande trompe en guise de visage, et leur deux petits yeux noirs avaient du mal à vaincre les couches de peau qui s’accumulaient sur leur figure. Ce que Joe remarqua en dernier, mais qui était aussi une des caractéristique qui les rendait si étranges, fût la couleur de leur peau, bleue, un bleu aussi profond et grave que leur murmure. Car c’était bien de ces créatures qu’émanait le bourdonnement que Joe avait recherché. Et de près, on ne pensait pas qu’il put porté aussi loin à travers la forêt, car son volume n’avait que faiblement augmenté par rapport à ce qu’on pouvait entendre dans la plaine. En revanche, il était devenu omniprésent dans l’air, semblant occupé tout l’espace sonore, ne laissant la place à aucun autre bruit. Il faisait vibrer la terre, les arbres, et jusqu’au cœur de Joe qui ne put s’empêcher d’être ému par ce chant. Tout perdu dans la contemplation de ce spectacle qu’il était, il ne remarqua pas qu’une ombre se déplaçait furtivement à sa droite, et vint se poser sur une branche à la hauteur du visage du jeune homme. D’une voix nasillarde et aiguë, elle susurra quelques mots dans l’oreille de Joe, de manière à lui faire une peur bleue, ce qui marcha bien évidemment :


Kaliha, chamane

« - Profites en bien, c’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de rencontrer une procession de Ponipoh, Kamkhapoh. »

Chacun des cheveux de la tête de Joe prirent bien soin de se dresser à l’horizontale, ce qui lui donna l’apparence d’un porc-épique effrayé. Porc-épique il ne l’était pas, mais effrayé, ça, il l’était. L’adrénaline le fit suffoqué et son cœur s’envola l’espace d’un instant. Lui qui était en train, dans le plus complet silence, de se faire envoûter par le chant des créatures, venait de se prendre une giclée de voix aigre, venue d’ailleurs, dans l’oreille droite. Cela eut pour effet de ravir la petite bestiole qui, d’un léger coup de sa longue queue contre le sol, disparut à l’instant même où Joe tournait la tête pour voir qui l’avait ainsi fait perdre le tête durant une seconde. Bien évidemment, il ne vit rien, et au lieu de crier à pleine gorge comme il avait envie de le faire, il décida de faire comme si rien ne s’était passé, d’ignorer superbement ce qui veniat de se dérouler, et retourna la tête pour admirer à nouveau les ponopohs, tranquillement.

Au bout d’un temps qui lui parut durer une éternité, la procession s’effaça au lointain, au même rythme que le sourd murmure qui l’avait accompagné, disparaissant à travers l’épaisse masse de la forêt, et, en quelques secondes, elle ne fut plus qu’un rêve, une brève apparition qui avait apporté son lot de surprise, mais qui était dès lors oubliée, effacée, comme n’ayant jamais existé…Seul restait en mémoire le souvenir de ces lentes et nonchalantes créatures, à la voix si douce et grave. Joe sortit de sa léthargie, agitant légèrement la tête pour dissiper les restes de brumes. Il se leva et quitta sa cachette pour venir se poster au milieu du chemin. Le calme qu’avait précédé le murmure des ponopohs était impressionnant et intimidant, et le jeune américain n’osait faire trop de bruit. Alors, il crut à nouveau entendre un murmure au loin, mais plus aigus cette fois-ci. Il tendit l’oreille et crut distingué des centaines de petits cris suraigus, pouvant émané de petites créatures effrayées. Le son augmenta de volume à une vitesse qui ne laissa pas à Joe le temps de paniquer. En quelques secondes, le lointain murmure avait laissé place à une véritable cacophonie de braillements sortant de centaines de bestioles toutes semblables à celles, bien qu’il ne le sache pas encore, qui l’avait précédemment embêté. Elles apparaissaient par centaines, sur les branches des arbres, sur le chemin, entre les feuilles des fougères, elles constituaient un flot ininterrompu qui submergea Joe. Elle lui filait entre les jambes, criant, courrant à une vitesse folle, elles sautaient d’arbres en arbres, et tout l’espace fut envahie de ces minuscules créatures au corps rouge, aux grands yeux verts, et à la longue queue. Notre héros commençait à paniquer, il ne contrôlait rien, et c’est alors qu’il se sentit basculer en arrière, perdant l’équilibre, et, ne pouvant lutter contre l’attraction terrestre, se retrouva bientôt le dos au sol. Mais ce qui le surprit encore plus, fut qu’il sentit alors des centaines de petites mains le saisir par en dessous et commencer à le soulever du sol. Les créatures le portaient, et lui, ne pouvait absolument rien faire pour échapper à leur emprise, il était entraîné de force. Commença alors une course folle, envahie de feuilles de fougères, de morceaux de terre, et de troncs évités de justesse. Joe filait comme le vent, emporté par les petites bestioles à travers la forêt, toujours plus vite. Il ne voyait pas où il allait et se prenait toutes les herbes et branches qui traînaient au ras du sol en pleine figure, ainsi que des bouts de terre dans la bouche. C’est alors qu’il sentit tout son corps basculer vers l’avant, ses organes semblant se soulever, et la lumière du soleil disparut de son champ de vision, laissant place au noir complet…ils étaient descendus sous terre. Le train d’enfer sembla se calmer, mais cette impression pouvait n’être due qu’à la totale obscurité … non…au loin, rien qu’un point, mais un point quand même, un point de lumière vers lequel il se dirigeait. Et ce point augmentait à mesure qu’il s’en rapprochait, et bientôt l’engloutit dans une halo éblouissant de lumière blanche... Ils s’étaient arrêtés.



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